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- Bien sûr que si, je te parle de moi, cria-t-il.
Elle leva un sourcil moqueur, et, après avoir remonté sa manche, elle plongea sa main dans son bain pour recueillir un peu de mousse. Le pouce et l'index arqués pour former un cercle elle souffla paisiblement entre ses doigts. La bulle de savon tremblota contre sa peau, puis se détacha comme un petit miracle, et prit son envol jusqu'à rencontrer le mur carrelé.

A cet instant il comprit avec plus de violence que jamais auparavant à quel point tout ce qu'il avait cru vivre n'avait été rien d'autre qu'une bulle de savon, qu'une bulle financière, qui se gonflait comme la grenouille fière avant d'éclater. Il avait donné, s'était investi, en espérant sans cesse recevoir un jour en retour, persuadé que son amour finirait par trouver un écho, il avait été si profondément impliqué dans l'immensité de ses sentiments qu'il avait oublié de vérifier si elle était solvable. La réponse venait de tomber, elle ne l'était pas, son cœur était à sec depuis des années.
Pour ainsi dire, il avait vécu une spéculation sentimentale. Et à présent son bain était froid et toutes les bulles avaient disparu de la surface, le laissant nu et ridicule, fauché avec le bout des doigts ridé par l'eau douce.


*


Ils s'accouplaient violemment dans le vent, des poussières qui venaient se prendre dans leurs cheveux, tandis que leurs corps imitaient le mouvement du piston, que l'air se faisait rare à leurs bouches et que quelque chose dans leur intime intérieur leur intimait de poursuivre jusqu'à la jouissance.


*



C'était comme marcher sur la pointe des pieds dans une maison inconnue. On ne sait s'il vaut mieux au bout du couloir tourner à droite ou à gauche. Quelque chose comme de l'exaltation mêlée d'angoisse intense, comme le tremblement des doigts sur les poignets des portes.


*



Il courait à présent dans l'herbe haute du plateau d'où s'élançaient les parachutistes. Sans quitter le sol il parvenait à ressentir le même vertige délicieux le prendre aux tripes, il redevenait l'enfant qu'il n'avait jamais été, ou qu'il n'avait jamais cessé d'être, qui se baignait dans la musique classique pour faire sécher ses pleurs. Le soleil avait le goût des sucreries oubliées, des mistrals gagnants peut-être, et puis la nostalgie finissait par tout emporter et il s'arrêtait au bord du vide pour regarder les maisons toutes petites là en bas.

C'était la promenade du champ des parapentes, elle n'avait pas changé et lui non plus, il avait juste noué des cravates à son cou et pris des cours de chinois accéléré pour aller vendre des machines à coudre à l'autre bout du monde.
Ce qui ne l'avait jamais aidé à rafistoler son cœur.


*



C'était comme regarder la vie passer à travers le hublot double épaisseur d'un sous-marin.
Les événements passaient lentement sous nos yeux, arrimés dans la pesanteur lourde des déplacements sous l'eau. On avait le temps de les contempler, de comprendre d'où venaient les remords qui nous tiraient sur les côtes quand on cherchait le sommeil. Des poissons chats, des arrêtes dans la gorge, c'était un océan tout entier qu'on essayait de boire dans un verre à liqueur quand on se retournait sur sa vie. Des requins qui nous dépeçaient quand on ne s'y attendait pas, et des étoiles de mers qui nous avaient serrés dans leurs bras sans demander d'explication. Des hauts et des bas, des vagues et des remous, de l'écume au coin des lèvres quand la colère revenait. Le sentiment d'avoir raté quelque chose, d'avoir manqué de s'arrêter, la tristesse bleue marine des abysses. On pouvait bien faire des bulles dans son aquarium, on en restait pas moins la joue collée contre le bocal.


*


Une jeune femme noire qui chantait, lascive dans la lumière rouge de la scène. Quelque chose dans son déhanché faisait lever le coude. La salle était comble, ou peut-être plutôt pratiquement vide. Il n'y avait qu'elle, les yeux mi-clos, un sourire imperceptible à la fin des strophes. Les froufous des robes des dames caressaient le parquet, et le pas puissant des hommes jouait des percussions. C'était un soir de novembre, et elle était pour moi toute la Nouvelle Orléans.

C'était une année fastueuse. La bourse était à la haute, les radios ne s'éteignaient jamais, et les gens tombaient amoureux chaque matin. Les filles piétinaient sur leurs talons en attendant leurs fiancés, les bons papas fumaient le cigare pour se donner une contenance, et les mamans s'affairaient aux fourneaux. Toute la ville pépiait d'une joie contagieuse, les arbres se coloraient de vert tendre, les commerçants se saluaient sur le perron de leurs magasins, les automobilistes étaient courtois et tout autour de moi m'invitait à prendre un verre de bonheur.


*


On sonnait à ma porte et on partait tous ensemble, les mains jointes. Je respirais l'air que j'expirai, la bouche angoissée derrière le tissu noir épais qui me coupait du monde. Accroupis dans le camion je sentais l'odeur acide de la sueur qui commençait à mouiller le dos des autres. Il y avait quelque chose d'absolument déchirant, d'une violence inouïe dans les regards cernés que l'on se lançait en silence. Et puis quelque part, entre deux cahots sur la route défaite, on atteignait le
paroxysme. La porte arrière s'ouvrait dans un claquement brut, et on sautait du camion sans attendre une seconde. Le reste avait l'odeur de la terre mouillée, molle sous nos pas. On s'enfonçait jusqu'aux chevilles dans une boue qui gardait nos traces et on courait la tête baissée, le sang qui faisait des vagues aux tempes.


*


Sa voix était comme le grésillement discret des vieux tourne-disque : elle me plaisait par dessus tout. Sa vie avait suivi sans protester le cours de l'histoire, et de guerres en résistances il était devenu celui que j'avais connu. Quelqu'un qui préférait l'ombre à la lumière mais qui avait su faire tinter son couteau contre son verre à ma noce. Il avait prononcé quelques phrases, très calmement, enveloppé dans les souffles retenus et l'admiration grandissante.


*


La porte du taxi s'était ouverte et son premier mouvement avait été de lever la tête. Les gratte-ciels lui mangeaient la vue, dressés comme des troncs d'arbres dans une jungle en plastique. C'était le tourbillon effervescent de la grande ville. Elle avait payé et avait hésité à ajouter "gardez la monnaie", parce qu'elle se sentait invincible comme les gens qu'on nous montre sur nos écrans. Des enfants sales jouaient sur le trottoir à faire un barrage pour une petite rigole d'eau. Leurs rires aigus et presque sans importance se mêlaient à l'incroyable bourdonnement du tout.


*


Sa sortie de l’hôpital avait ressemblé à un jour de fête. Le personnel lui souriait, et il avait passé l'arche en retenant son souffle, comme s'il entrait dans une nouvelle maison. Il vivait à présent dans le monde, et le monde lui avait ouvert les bras tout grands. L'asphalte semblait se dérouler sous ses pieds comme un tapis rouge à mesure qu'il marchait, tandis qu'au contraire les feux passaient au vert dès qu'ils le voyaient venir.

 Les odeurs de nourriture à emporter se mélangeaient à celle, discrète, des acacias en fleurs, et quelque chose se mettait à palpiter tout près du cœur, quelque chose comme le besoin immense de mordre dans cette réalité. Il le sentait, sa place serait à jamais ici, parmi les vivants.
Les vivants qui jouaient pour lui une immense symphonie résonnante, qui montait jusqu'aux plus petits des anges, et qui descendait jusqu'au noyau de la terre, une symphonie vivante en somme, qui lui faisait venir les larmes aux yeux.









Ecrit par AlaskaYoung, à 19:05 dans la rubrique "c'est un vrai mensonge".



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