Parmi les choses que ma maladie n'a pas changées il y a les dimanches soirs.
Une suite ininterrompue qui plonge tout droit dans la nuit, les musiques qui défilent sur deezer, les nuages qui emplissent le ciel, la maison un peu triste, mon regard qui s'accroche aux choses sans vraiment les voir, la tête vide, la musique qui y passe sans s'y imprimer véritablement. Quelque chose d'éphémère, d'insaisissable, dans l'air qui sent l'hiver et la soupe, et le chauffage au charbon de bois, même si ça fait bien longtemps que ça n'existe plus.
Le vent qui souffle dans les bambous et les feux rouges à l'arrière des voitures qui grimpent en direction du haut du village. Il y a quoi là-haut ? Il n'y a rien.
C'est dimanche soir, une espèce de mélancolie brumeuse qui finit toujours par me gagner. Alors je n'ai plus envie de grand chose que de rester sous ma couette à compter les petits accrocs dans la peinture blanche du mur.
Ou de l'écrire plutôt que de le faire, ça marche aussi.
Ce n'est pas totalement efficace, mais ça trompe pour un temps l'ennui et la lassitude du soir le plus redouté de la semaine.
Tout ce qu'il faut c'est perdre le décompte des jours, il n'y a qu'ainsi que les dimanches soirs disparaissent, se glissent dans le flot des jours et cessent de faire exception.
Mais ça ne marche qu'en été.
Même malade j'ai compté les jours.
Je ne sais pas exactement si je dois écrire "j'ai compté les jours" ou "je compte les jours", je ne sais pas jusqu'à quand je devrais me coller cette étiquette de malade, de pestiférée. Je préfère faire semblant que c'est fini et conjuguer les verbes au passé composé. Parce que le passé n'est jamais simple - mais c'était facile et gratuit ça.
Moi je préfère vivre au plus-que-parfait.
Le plus-que-parfait où il n'y a ni dimanche soir ni maladie ni mail de ma mutuelle qui m'indique gentiment que le règlement de mes prestations aura lieu dans quelques jours.
Ah formidables prestations que les miennes. Un grand numéro et une foule d'applaudissement. Un bouquet final.
Tu m'as déjà demandé quand est-ce qu'on passerait nos dimanches soirs ensemble.
La réponse s'impose d'elle-même : quand on vivra au plus-que-parfait.
Nous vivrons des dimanches soirs plus-que-parfaits, et nous serons nous même plus-que-parfaits, à manger des pâtes-plus-que-parfaites, ou un mac do plus-que-parfait, en écoutant une musique plus-que-parfaite, dans la chaleur plus-que-parfaite de l'appartement et de tes bras plus-que-parfaits, oui, je te lirai des extraits de livres plus-que-parfaits, tu feras des bulles siamoises plus-que-parfaites, et dans l'air coloré de leur transparence nous nous aimerons plus-que-parfaitement.
Jusqu'au lundi.
Et ce sera tellement bien que je voudrai être tout le temps dimanche soir.
Tu vois tout change.
Ou plus exactement tu changes tout.
T'es arrivé et t'as soufflé très fort sur ma vie - encore plus fort que pour les bulles.
Finalement c'était bien mieux d'écrire plutôt que de compter les aspérités du mur qui borde mon lit.
Oh je dis pas, c'était juste quelques lignes sans prétention, un peu d'amer qui glisse vers le sucré salé du bout de tes doigts, mais je sais que tu me liras et ça me suffit.
à 22:05