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Les murs sont sourds, mais ils ont des yeux, et ils m'ont vue pleurer, tous. Des kilomètres de papier peints et de peinture blanche qui m'ont regardée, consternés. J'ai imprimé des larmes et j'en ai fais des tableaux, à l'aquarelle ou à l'huile, dans les tons bleus ou transparents, et je les ai encadrés au dessus de mon lit, de mon bureau, de mon miroir et de ma porte.,De ma porte surtout, pour prévenir ceux qui entrent qu'ici-bas il a déjà fait sombre, qu'on a connu des tsunamis et que les ruines sont camouflées derrière les objets pimpants. Qu'on a pris l'habitude des inondations et que le port du gilet de sauvetage est de rigueur dès lors qu'on pousse la porte.




En vingt ans j'ai chialé suffisamment pour plonger dans mes propres larmes, comme Alice avant qu'elle ne rencontre l'oiseau Dodo. Elle a bien de la chance Alice au pays des merveilles, parce que l'oiseau Dodo il se fait rare par ici, c'était surement plus vivable pour lui, alors il s'est tiré.



Depuis je pars à sa recherche toutes les nuits, ou plutôt devrais-je dire à sa chasse,  parce que c'est toujours le fusil sur l'épaule que je m'endors.
On sait jamais, les monstres me guettent pour toujours au détour de mon sommeil.



Au début de l'année - et j'ai vécu trois débuts d'années - on devait répondre par écrit à une série de questions en litté - le questionnaire étant vaguement inspiré de celui de Proust ce petit con - et l'une d'entre elles étaient : "quel serait votre plus grand malheur ?"
En jetant un œil sur les questionnaires de mes voisins de bureau j'avais constaté que la grande hantise populaire est de "perdre mes proches". Je crois que ma réponse a été, les trois années de suite : "qu'il n'y ait plus rien de bon dans le monde".
Dans ma tête je sais exactement ce que ça signifie, mais j'ai beaucoup de mal à l'exprimer - ma réponse ne voulait rien dire au fond.
J'aurais dû répondre "qu'il fasse tout le temps noir".



Je sais pas. En même temps la question porte sur notre plus grand malheur et non pas sur notre plus grande peur. Notre plus grande peur est finalement que notre plus grand malheur se produise.



Il y avait d'autres questions. Nos projets, nos auteurs favoris, des trucs comme ça.
Notre devise.
Je n'ai pas de devise. Je trouve ça con. Choisir une phrase et en faire une référence et un objectif indépassables c'est pour les cons. Comme il fallait bien répondre, j'avais recopié une citation de Faulkner, "il faut avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue pendant qu'on les poursuit".
Je ne sais pas après quoi courait Faulkner, mais de mon coté tout va bien, je poursuis l'oiseau dodo.


Surtout à 23:47


Mon gros avantage c'est que l'oiseau dodo est incapable de voler.
Mon gros inconvénient c'est que l'oiseau dodo a définitivement disparu, il a été comme éradiqué de la planète terre.
On en apprend des choses ce soir hein.


J'écoute une chanson qui raconte que "the story are always the same", et putain que c'est vrai.

Je suis toujours autant incapable de fixer mon attention sur un seul sujet, j'ai les fusibles qui sautent en permanence alors je repars toujours à zéro, et finalement je ne fais qu'aligner des premières phrases.



Parfois aussi des dernières, mais entre les deux il n'y a que le bruit étouffé du silence.



Moi je sais bien que le silence fait du bruit. Je l'ai écouté résonner pendant des années, la porte de ma chambre ouverte. Le silence faisait le bruit de la pendule de l'escalier, des craquements de la maison, des pas de mes parents au rez-de-chaussée, des radiateurs en hiver, de la fenêtre ouverte en été.
Le silence est très bruyant dès que la nuit tombe. Dans la journée il se tient plutôt calme j'ai remarqué. Mais ça dépend. Cette année il a beaucoup fait de bruit entre décembre et mars.


Le silence s'incarnait alors dans les pleurs, le vomi dans la cuvette des chiottes, les halètements étranglés de terreur, et les chuchotements dans la cuisine. 
Parfois même il était simplement silence, comme quand la vieille dame du labo ne prenait même plus la peine d'appeler mon nom pour m'indiquer que c'était à mon tour d'aller me faire piquer les veines. Elle me regardait fixement et se contentait d'incliner la tête vers la droite. Elle le fait toujours.



C'est étrange. J'ai passé beaucoup de temps avec cette femme dont je ne connais pas le nom. Pendant que je regarde mon sang remplir les petits flacons - je suis toujours étonnée parce que le sang n'est pas rouge - elle me raconte systématiquement les mêmes histoires, celles de sa nièce, parce qu'elle-même n'a pas d'enfants, et peut-être pas d'histoire. Je sais tout de la nièce, son année sabbatique en première, son bac scientifique avec option latin mention bien onze en maths, son école d'horticulture à Poitiers, ses futurs stages en Asie et à Vienne.



La femme des prises de sang est très fière de la jeune fille, qui doit avoir à peu près mon âge, que je ne connaitrai jamais, et qui ne se doutera jamais que j'écris sur elle ce soir.



Un soir je rentrai en bus, et, à travers la vitre, j'ai vu la femme des prises de sang qui sortait de la boulangerie à deux pas du labo, un petit paquet de gâteaux à la main. Elle n'avait pas pris la peine de se changer, et portait sa blouse blanche et ses espèces de sabots en plastique d'infirmière. Il était assez tard et la nuit commençait à tomber sur son dos vouté, ses cheveux gris qui me rappellent ceux des poupées, et ça m'a rendue immensément triste.



Je ne sais pas quel est le secret derrière tout ça. Derrière ces choses insignifiantes qui réveillent toute l'émotion dont je suis capable. Ces choses qui paraitront sans intérêt aux yeux des autres, mais qui me morcellent l'âme au point que je ne vois que deux solutions : les insérer dans un livre ou un film.



C'est ma faiblesse. Je ne peux pas ressentir quelque chose de triste sans vouloir - quasiment simultanément à ma tristesse - m'en servir.
Ce n'est pas toujours vrai. Il y a des tristesses qui prennent toute la place.
Mais ce sera toujours vrai pour les dames du laboratoire d'analyses médicales qui, en sortant du travail, après la centième prise de sang de la journée, achètent quelques gâteaux qu'elles mangeront seules dans leur cuisine le soir venu.



Voilà ce dont je voudrais être capable. Pouvoir raconter l'histoire de cette femme - pas toute son histoire, seulement ce que j'en aperçois - et que ce soit émouvant et non pas chiant à mourir comme ça l'est pour l'instant.



Les gens seuls me rendent triste.
 Les gens seuls au restaurant. Les gens seuls au cinéma. Mon grand-père après le décès de ma grand-mère. Ma grand-mère après le décès de mon grand-père. Les enfants mis à l'écart. Andréa avec ses poux.



J'ai dans la mémoire des dizaines de petites séquences, des petits films muets de quelques secondes, comme celui de la femme avec la blouse blanche et les gâteaux.



Il y a un film qui commence un jour où j'avais douze ans et où, pour une raison inexpliquée et qui importe peu, je suis assise à la place du mort dans la voiture, ma mère au volant. Nous sommes arrêtées à un feu rouge. Sur le trottoir passe un homme qui n'arrive pas bien à marcher, un homme aux jambes qui refusent de faire ce qu'il leur dit. L'homme trébuche, tombe. Ma mère plaque sa main devant sa bouche. Dans la camionnette arrêtée à coté de nous au feu, un homme en marcel blanc ricane. Il y a plusieurs files de voitures, plusieurs voitures dans chaque file, beaucoup de monde arrêté à ce feu, beaucoup de monde qui regarde l'homme par terre qui se remet péniblement debout et qui reprend sa marche chaotique. Personne n'a bougé ; le feu repasse au vert.



Huit ans plus tard. Je suis toujours à la place du mort, mon père est cette fois au volant. Nous sommes toujours arrêtés à un feu rouge. Au passage piéton devant nous traverse une femme en fauteuil roulant, accompagnée d'un petit garçon avec un cartable sur le dos. La femme n'a pas de fauteuil motorisé, elle est obligée de se déplacer à la force de ses bras. Elle est jeune et belle. Elle parle avec le petit garçon, et je suppose que c'est sa mère. Le petit garçon est trop petit pour pousser le fauteuil. Il marche à coté, avec son cartable sur le dos, le visage grave.



On pourra m'accuser de pitié, je m'en fous.
Je sais bien que ce n'est pas de la pitié, mais de la tristesse.



Je voudrais écrire un livre qui rendrait hommage à tous les gens qui m'ont rendue triste sans le savoir, à toutes ces personnes à qui j'ai volé des paillettes de vie, à tous ces individus qui m'ont prêté leur incroyable présence un instant. Je voudrais leur dire que je leur dois tout ou presque.



Je raconte beaucoup trop de choses ce soir, beaucoup trop de conneries, et beaucoup trop de souvenirs. Je suis un gouffre à souvenirs.
Tout ce que je touche devient souvenir, et tout ce qui devient souvenir devient mots.


On m'a appris en littérature que tout ce qui devient mots devient immortel.




Je ne suis pas sûre que les personnes que j'ai évoquées désirent l'immortalité, mais ça tombe plutôt bien parce qu'avec l'obsolescence programmée tout ce que j'écris disparaitra en même temps que mon disque dur dans les deux ans à venir.













 




 
Ecrit par AlaskaYoung, à 01:15 dans la rubrique "c'est un vrai mensonge".

Commentaires :

  aphone
25-05-11
à 18:05

Pour te dire que, les deux derniers articles là, ils me parlent beaucoup, mais j'aurais du mal à commenter vraiment. Ca me donne envie d'écrire aussi, parce que quand tu parles d'une femme en blouse blanche avec ses gâteaux, c'est beau, ça m'évoque des images, des sensations. C'est ce que j'aime le plus dans les récits, les petits instants, les détails qui prennent de l'importance parce qu'on leur attribue du sens. Non vraiment c'est beau quand tu écris beaucoup, et j'ai envie de te dire qu'il ne faut pas que ça disparaisse, en tout cas moi je le garderai, parce que tu es très communicative.

  AlaskaYoung
02-06-11
à 23:20

Re:


N
ous serons quittes. J'ai gardé de toi des paragraphes très beaux. Des choses qui auront forcément - ou qui mériteraient en tout cas - une durée de vie supérieure à nos deux existences mises bout à bout.

Pour la femme en blouse blanche avec les gâteaux, c'est bien si tu t'en souviens. J'ai toujours trouvé ça complètement fascinant, complètement démentiel même, de se dire qu'on existe peut-être, sans le savoir, dans la mémoire de personnes  dont on ignore tout.

Je ne crois pas que ce soit très clair ce que j'écris ce soir. Mais enfin voilà, c'est approximativement ce que je voulais te dire. Et puis aussi bien sûr, merci d'être passée.






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